Quand la politique s'immisce dans le sport...
- lea
- 19 oct. 2019
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 mai 2020
Lundi 14 Octobre, le match de football France-Turquie organisé au Stade de France dans le cadre des qualifications pour l'Euro 2020 s'est déroulé sous hautes tensions. La raison? La situation géopolitique autour de la Turquie et le salut militaire effectué par les joueurs turques en soutien à Erdogan lors du match Turquie-Albanie. D'ailleurs, ils ont réitéré ce geste, qui n'a pas été diffusé en direct à la télévision, suite au but égalisateur ainsi qu'à la fin du match. A part ça, rien à signaler! La Marseillaise n'a pas été sifflée (à l'inverse du match aller) mais respectée et même applaudie tandis que l'ambiance est restée fair-play. Malgré tout, une enquête UEFA a été ouverte pour entamer une enquête disciplinaire en lien avec un comportement s'apparentant à une "potentielle provocation politique".
Pourtant, le match avait été placé sous haute surveillance policière et le risque de débordements semblait élever à cause des relations distendues entretenues par la France et la Turquie depuis que le président français, Emmanuel Macron, a demandé à son homologue turc Recep Tayyip Erdogan de mettre fin à l'opération militaire menée par l'armée turque contre les Kurdes en Syrie depuis le 9 octobre.

Certaines personnalités politiques telles que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon avait demandé l'annulation du match. Présente lors de la rencontre, la ministre des Sports Roxana Maracineanu a condamné sur Twitter un geste "contraire à l'esprit sportif" tandis que le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a annulé sa présence au Stade de France. Cependant, d'autres acteurs ont encouragé son maintien. C'est le cas de Ismail Hakki Musa, l'ambassadeur de Turquie, qui expliquait lors d'une interview "Ce qu’il se passe en Syrie, c’est une chose, le match c’est autre chose. Bien qu’il puisse y avoir des imbrications, des provocations, nous essaierons de l’éviter" et du sélectionneur de l'équipe de France, Didier Deschamps, qui insistait "C’est un match de football, dans un stade de football. Il faut faire en sorte de rester concentré là-dessus."
Quel est le contexte géopolitique?

Le 9 Octobre 2019, trois jours après l'annonce du président américain Donald Trump du retrait immédiat de ses troupes en Syrie le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé le lancement de l'opération "Printemps de la paix" contre les forces kurdes du nord-est de la Syrie. Les Kurdes sont le plus grand peuple apatride de la planète. Au lendemain de la Première guerre mondiale, alors que l'Empire ottoman fait partie des puissances défaites, le traité de Sèvres en 1920 prévoit de constituer un Kurdistan indépendant. Mais en 1923, le traité de Lausanne renverse le rapport de force et la réalité culturelle, linguistique et politique des Kurdes n'est alors pas reconnue par la Turquie
Aujourd'hui, le territoire qu'ils occupent recouvre pas moins de quatre pays limitrophes : la Turquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran. Dans chacune de ces régions, les kurdes ont tenté de s'organiser politiquement malgré les réticences des Etats au sein desquels ils vivent. Le Parti des Travailleurs Kurdes (PKK) a ainsi été créé en 1978 pour unifier les Kurdes de Turquie et militer pour l'indépendance de la région mais cette organisation est considérée comme terroriste par de nombreux pays dont les Etats-Unis et l'Union européenne. En menant cette offensive, Erdogan souhaitait ainsi empêcher l'apparition d'une région autonome kurde non loin de la frontière sud.
Cependant, cette opération a déclenché un tollé international. Les Kurdes sont les alliés des Occidentaux dans la lutte antijihadiste. Via les Unités de protection du peuple (YPG), ils forment la majorité des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes créée dans le nord de la Syrie. Aidés par la coalition internationale, ils ont repris plusieurs villes aux mains du groupe terroriste Etat islamique (EI). De plus, environ 10 000 combattants de l'EI, ainsi que des familles des jihadistes, sont toujours détenus dans des camps contrôlés par la milice kurde YPG et plusieurs pays redoutent que l'offensive turque ne permette un sursaut de l'EI par la perte de contrôle des prisons et des camps abritant des milliers de familles de jihadistes où s'est développée une idéologie radicale.
Autre souci, la communauté internationale craint que cette offensive n'ouvre la voie à une nouvelle vague migratoire. En réponse à l'indignation de l'Union européenne, Recep Tayyip Erdogan a menacé jeudi d'ouvrir les portes de l'Europe à des millions de réfugiés. "Ô Union européenne, reprenez-vous. (...) Si vous essayez de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et vous enverrons 3,6 millions de migrants", a-t-il déclaré lors d'un discours à Ankara. En réaction, la France a suspendu ses ventes d’armes vers la Turquie tandis que les Etats-Unis et la Turquie viennent de conclure un cessez-le-feu temporaire.
Affaire à suivre...
Le sport, tribune de la politique?
Ce n'est pas la première fois que la politique s'invite dans le domaine sportif et, chaque fois, cela a suscité de vives réactions.

1) En 1968, les JO se déroulent à Mexico. Les athlètes noirs-américains et certains de leurs compatriotes blancs portent un macaron sur leurs tenues : "Olympic project for human rights". L'objectif n'est pas de boycotter les Jeux mais montrer aux yeux du monde les injustices dont ils sont victimes en tant que noirs.
Le 16 octobre, Tommie Smith et John Carlos, deux américains, terminent respectivement 1er et 3ème du 200 m. Lors de la remise des médailles sur le podium, ils lèvent un poing ganté de noir et gardent la tête baissée pendant que résonne l'hymne des Etats-Unis. Alors que les Etats-Unis sont en pleine bataille des droits civiques, ils entendent protester contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis grâce à ce geste en phase avec la théorie du Black Power. Mais le CIO juge ce geste scandaleux et ordonne aux officiels américains de suspendre Smith et Carlos qui seront exclus à vie des JO.
2) La ségrégation raciale n'est pas de l'histoire ancienne et de nombreuses polémiques continuent d'émerger. Colin Kaepernick, joueur de football américain, en a fait les frais lorsqu'il a décidé de protester face aux violences policières racistes (pour en savoir plus va lire l'article sur "L'engagement des marques")
3) Le SuperBowl, finale du championnat de football américain et rencontre sportive la plus regardée de l'année (110 millions de téléspectateurs) est devenu depuis quelques années le théâtre de polémiques représentatives des mouvances de la société américaine. Entre les joueurs, les publicités et les célèbres halftime shows, la politique et les questions d'actualité s'invitent de plus en plus dans cet événement incontournable qui fait chavirer le cœur de millions d'américains chaque année.
En 2017, Airbnb avait frappé fort grâce à une publicité qui se posait clairement en réaction au décret migratoire du président Donald Trump. « Nous pensons que qui que vous soyez, d’où que vous soyez, qui que vous aimiez, ou en qui vous croyiez, nous avons tous notre place. Plus vous acceptez, plus le monde est beau » est le message qui défilait dans ce spot, sur fond de visages aux multiples origines ethniques. Budweiser et 84 Lumber en avaient fait de même avec des pubs dévoilant les parcours d'immigrés.
En 2016, c'était le halftime show de Beyoncé qui marquait l'histoire. Attachée à proposer un discours et une image démontrant que la femme est l'égale de l'homme, sa performance a cette fois-ci été marquée par sa prise de position et son ralliement au mouvement Black Lives Matter. Durant la chorégraphie, la chanteuse a d'ailleurs levé le point au ciel en référence au signe emblématique du Black Power notamment rendu célèbre par les deux athlètes précédemment cités.

Mais alors, peut-on encourager certaines causes tout en réprimant d'autres actions? Cela constituerait un paradoxe qui remettrait en question l'égalité. Mais même si la liberté d'expression ne doit pas être bafouée, les athlètes et les personnalités jouant un rôle dans le domaine sportif (et cela vaut pour tous les secteurs) doivent faire preuve de discernement et assumer les conséquences de leurs actes.
Léa ;)
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