La face cachée de l'American Dream
- lea
- 10 févr. 2019
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 mai 2020
ou les violences dans une société idéalisée
"The Hate U Give Little Infants Fucks Everybody" soit "La haine que vous transmettez aux enfants détruit tout le monde", c'est la T.H.U.G L.I.F.E selon 2Pac, acronyme repris par le film du même nom: The Hate U Give, sorti le 23 Janvier 2019 au cinéma. Mais aujourd'hui, la jeunesse américaine fait entendre sa voix afin de protester contre les armes aux USA. Une révolte qui démontre l'impact et la conscience des jeunes dans notre société.

Les violences armées
Un article d'Amnesty International (ONGI pour la défense des droits de l'homme et le respect de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme) publié le 9 Septembre 2018 dénonce la crise des droits humains engendrée par le libre accès aux armes à feu censé respecter le deuxième amendement de la Constitution des Etats-Unis, défendu par le gouvernement et soutenu par le puissant lobby des armes NRA. Force politique incontournable, la NRA (National Rifle Association) agit auprès du Président Trump lui-même ainsi que dans les médias en s'affichant comme les défenseurs des "droits civiques".

Aujourd'hui, trente Etats tels que le Kansas, le Texas, la Floride ou l'Arizona autorisent la détention d'une arme à feu sans licence ni permis. D'après les documents officiels, 38 000 personnes ont été tuées par ces armes aux Etats-Unis en 2016. Les premiers touchés sont les personnes issues des communautés de couleur ainsi que les enfants et les femmes victimes de violences domestiques.
D'après les propos d'Amnesty, la détention d'armes à feu est privilégiée au détriment du droit fondamental de vivre en sécurité et dans la dignité. L'augmentation du nombre de fusillades et le bilan de personnes tuées toujours plus important chaque année ne provoquent aucune réaction concrète du gouvernement qui s'illustre par une absence de réglementation fédéral.
Les fusillades lycéennes
Barack Obama le déplorait lorsqu'il était encore président, les fusillades meurtrières sont devenues une «routine». D'après une étude du Journal of Child and Family Studies, les tueries dans les établissements scolaires ont fait plus de victimes ces dix-huit dernières années que tout au long du XXe siècle. En 2018, il s'agissait presque d'une fusillade par jour. De plus, 60 % des fusillades de masse examinées par les chercheurs ont été perpétrées au XXe siècle par des adolescents de 11 à 18 ans. Cette statistique est à mettre en lien avec le système actuel aux Etats-Unis ainsi qu'avec les constructions morales des lycéens. En effet, les jeunes sont psychologiquement plus fragiles et possèdent moins d'aptitudes pour la résolution des conflits. L'utilisation d'une arme à feu devient donc pour eux une solution de facilité appuyée par les politiques de certains états caractérisées par un manque de contrôle.
Le 14 février 2018, la fusillade de Parkland a marqué un tournant dans la lutte contre les armes. Le tragique événement s'est produit dans le lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland en Floride. Le tireur, Nikolas Cruz, était un ancien élève renvoyé de l'établissement âgé de 19 ans. L'arme utilisée était un fusil d'assaut semi-automatique AR-15, qu'il est très facile de se procurer dans la majeure partie des États-Unis. Arrêté après la fusillade, le responsable a été inculpé pour meurtres avec préméditation. Le bilan a été de 17 morts mais la réalité était celle d'un lycée bouleversé et d'un pays consterné et épuisé par ces fusillades à répétition.
Suite au drame, les lycéens rescapés de la fusillade annonçaient vouloir se mobiliser autour d'un mouvement de lutte contre les armes à feu tandis que Donald Trump envisageait d'armer les enseignants.

Ces lycéens se sont Emma Gonzalez, David Hogg, Cameron Kasky, Alex Wind et Jaclyn Corin, survivants de Portland aujourd'hui leaders de la jeunesse anti-armes et en une de l'édition du 2 avril 2018 du magazine Time. Quelques jours après la fusillade, ces jeunes montaient au créneau pour dénoncer la violence et occupaient la scène médiatique lors de débats télévisés ou en multipliant les appels à la mobilisation sur les réseaux sociaux par le biais du hashtag #NeverAgain. Leur appel s'est fait entendre puisque le 24 mars, plus d'un million d'Américain défilait à Washington et dans d'autres villes du pays lors d'une manifestation historique « March for Our Lives ».
Emma Gonzalez, une des figures les plus marquantes de ce mouvement, est l'adversaire numéro un de la NRA dont elle accuse le Président Trump d'être à la solde. Véritable icône pour notre génération, la jeune fille prouve que la jeunesse a son mot à dire et qu'elle mérite d'être écoutée lors d'un discours poignant prononcé le 17 février au cours d'un rassemblement en faveur d'un renforcement du contrôle des armes: "Ils disent que nous ne savons pas de quoi nous parlons, que nous sommes trop jeunes (…) Nous répondons : conneries !"
Les violences policières
Revenons en à l'inspiration de cet article, le film The Hate U Give, adaptation du best-seller du même nom de l'écrivain Angie Thomas. J'ai aimé ce film car il m'a touchée. Le script n'est pas forcément exceptionnel, certaines scènes sont superflues et certains personnages stéréotypés mais les émotions étaient tellement intenses que je n'ai pu que l'apprécier. Sans mentir, je suis passée par tous les états. J'ai ri (vraiment), j'ai pleuré (beaucoup) mais surtout j'ai ressenti une profonde injustice. Car si ce film n'est pas un chef-d'oeuvre du cinéma, il est tellement vrai et actuel qu'on ne peut qu'être sensible aux images et au jeu des acteurs, notamment de la fabuleuse Amandla Stenberg (Hunger Games, Everything Everything, Darkest Minds).

Synopsis (dont je ne suis nullement l'auteure): Starr est témoin de la mort de son meilleur ami d’enfance, Khalil, tué par balles par un officier de police. Confrontée aux nombreuses pressions de sa communauté, Starr doit trouver sa voix et se battre pour ce qui est juste alors qu'elle est partagée entre son quartier pauvre dominé par les gangs et son lycée prestigieux à majorité blanche.
Ainsi, The Hate U Give est un film coup de poing sur la réalité des violences policières aux Etats-Unis, sur le racisme et les inégalités de traitement.
D'après un article du Washington Post, 987 personnes ont été tuées par balles aux Etats-Unis en 2017. Parmi elles, 68 n'étaient pas armées et 23% d'entre elles étaient des hommes noirs. Dans la plupart des cas, les policiers blancs responsables du crime ne sont pas inculpés et c'est ce qu'illustre le film à travers le meurtre de Khalil. Autre fait que développe l'adaptation cinématographique, le contraste entre les communautés blanches et noires lorsqu'il s'agit de dénoncer les actes racistes. Ce point est peut-être le seul sur lequel je ne suis pas en accord avec The Hate U Give. Dans le film, les élèves du lycée où étudie Starr se servent du meurtre de Khalil comme prétexte pour sécher les cours en organisant une manifestation dont la plupart ne connaisse même pas les raisons. Lorsqu'elle s'en rend compte, l’héroïne remet en cause leur action (de manière logique) mais enchaîne rapidement sur le fait que les personnes blanches n'ont pas le "droit" de manifester pour une chose qu'ils ne vivent pas au quotidien. Je pense que ne pas être noir ne nous empêche pas de lutter contre le racisme. Ce n'est pas parce que les blancs ne subissent pas ces actes qu'ils n'ont pas le droit de manifester contre. Au contraire, cela démontre une prise de conscience et une volonté de rendre la société plus juste pour ne former qu'une seule et même communauté.
Le film fait référence à de nombreux événements et mouvements qui ont agités et mobilisés les Américains au cours des dernières années.

Tout d'abord, le mouvement Black Lives Matter, aujourd'hui mondialement connu. BLM est né en 2013, après l’acquittement de George Zimmerman, le coordinateur d’une surveillance de voisinage blanc qui a tué par balles Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans non-armé. Au début, il ne s’agissait que d’un hashtag lancé par trois femmes afro-américaines impliquées dans les mouvements communautaires qui permettait aux gens d’exprimer leur indignation sur les réseaux sociaux. Mais en 2014, le mouvement prend de l’ampleur suite à une succession de meurtres racistes, c'est le début des manifestations. Inspiré par le mouvement pour les droits civils, mais aussi les mouvances féministes, LGBT et altermondialistes, BLM est décentralisé en 23 entités locales aux Etats-Unis, au Canada et au Ghana. Il n’existe pas de dirigeants clairs, mais plusieurs leaders. Son arme principale? Les réseaux sociaux et les comptes Twitter et pages Facebook du mouvement qui sont suivis par des centaines de milliers de militants (source: https://www.letemps.ch/monde/mouvement-black-lives-matter-explique-trois-minutes).

Ensuite, le slogan scandé lors des manifestations "Hands Up! Don't Shoot!" est directement lié au meurtre de Michael Brown, étudiant afro-américain de 18 ans non-armé, par Darren Wilson, un policier blanc, à Ferguson dans le Missouri le 9 août 2014. Cet événement avait entraîné une vague d'émotions et des affrontements entre la police et des manifestants venus à l'origine pour une veillée pacifique. Ces actes violents survenus des deux côtés sont l'aboutissement d'années d'oppression et de tensions raciales. Le 7 juillet 2016, l'ancien militaire Micah Johnson abattait 5 policiers et en blessait 7 autres à Dallas en représailles aux violences à l'égard des Noirs.

Si cette violence n'a fait que s'accentuer ces dernières années, le combat contre le racisme dure depuis des siècles. En 1981, Basquiat peint "Irony of Negro Policeman" présenté récemment lors d'une exposition à la fondation Louis Vuitton. Cette oeuvre m'a énormément marquée car elle illustre la façon dont les Afro-américains ont été contrôlés par une société à prédominance blanche. Le policier a la peau noire mais fait respecter les règles conçues par une "société blanche". Dans The Hate U Give, l'oncle de Starr est policier mais révèle à la jeune fille qu'il agirait différemment selon la couleur de peau de l'homme en face de lui, alors qu'il est lui-même issu de la communauté noire. Cela traduit une alarmante résignation par rapport à leur situation et, alors que les Etats-Unis ont élu leur premier Président Afro-américain avec Barack Obama, la lutte se poursuit dans une société qui en fait rêver plus d'un mais qui possède une face bien plus sombre.
Aujourd'hui, Starr comme Emma Gonzalez et tous les autres lycéens représentent le réveil d'une jeunesse qui n'attend qu'une étincelle pour s'embraser.
Léa;)
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